Le naturisme comme on le connaît aujourd’hui n’est vieux que d’un siècle. Cependant, la nudité en commun existe depuis la nuit des temps. Nos ancêtres lointains vivaient nus, se couvrant de peaux de bêtes uniquement quand la météo l’exigeait. Les premiers Jeux olympiques en Grèce étaient pratiqués nus. Les Spartes pratiquaient le sport nus. Le mot grec « gymnos » (nu) donna le mot « gymnasium » (lieu où on s’entraîne nu). Les Romains construisirent des thermes dans toutes les villes de l’Empire, où la nudité intégrale était obligatoire. Les Celtes faisaient la guerre nus. Tout cela n’était pas du naturisme organisé mais, à part les guerriers celtes, ces peuples étaient nus quand les circonstances l’exigeaient et cette nudité ne choquait personne. Il suffit seulement de contempler l’art ancien de tout l’Empire romain et du Moyen-Orient pour voir à quel point la nudité était banale.
L’arrivée dominante de la chrétienté à Rome annonça une nouvelle ère de pudeur (la nudité est hélas diabolisée et taboue dans les religions « du Livre » : Christianisme, Judaïsme, Islam). Les premiers crucifix montraient le Christ nu jusqu’au VIe siècle, date à laquelle l’Église ordonna le rajout d’un pagne. Le baptême se pratiquait nu, à l’image des premiers baptêmes, jusqu’au VIIIe siècle.
Entre le IIe et le IVe siècle, une secte chrétienne qui s’appelait les adamites pratiquait un naturisme « sacré » en Afrique du Nord. Ils poursuivaient un paradis sur terre à l’image d’Adam et d’Eve avant la chute. Ils vivaient nus, rejetaient le mariage, pratiquaient l’amour libre et évitaient le travail. Disparue après le IVe siècle, la secte réapparut en Europe au XIIIe siècle, en Bohème, en Autriche et en Flandres.
En 1372, Jeanne Daubenton fut brûlée vive en place de Grève à Paris. Elle était membre des turlupins, une secte inspirée des adamites. Les turlupins pratiquaient le naturisme et un ancêtre du communisme, faisant partie du mouvement de libre-esprit qui se développa au Moyen-Âge. Excommuniés comme hérétiques par le pape Grégoire XI, le roi de France Charles V les accusa d’avoir déstabilisé l’ordre social, les dissout et envoya certains au bûcher.
A leur arrivée dans le Nouveau Monde en 1492, les Espagnols trouvèrent un peuple qui vivait souvent nu, du fait d’un temps plus que clément en Amérique Centrale. Dans un effort de sauver leurs âmes, les Espagnols habillèrent les indigènes et les convertirent au catholicisme.
Les Japonais se baignent nus aux thermes depuis près de mille ans. Aujourd’hui il est rare d’y trouver des endroits de genres mixtes mais de leur côté des thermes, les hommes et les femmes pratiquent une forme de nudité qui s’approche de notre propre concept de naturisme, où les générations se mélangent dans une ambiance de détente et de convivialité.
Au cours du XIXe siècle – l’ère victorienne – la pudeur atteignit son sommet. A la fin du siècle, un quart de la population mondiale faisait partie de l’Empire britannique. Les pauvres sauvages, qui vivaient nus et ne connaissaient pas Jésus, furent rhabillés à la mode anglaise, malgré l’énorme différence de température.
Toutes ces sociétés ne pratiquaient pas du naturisme ; ils vivaient en harmonie avec la nature. Les Amérindiens, les insulaires de la Pacifique et les Aborigènes d’Australie portaient peu ou rien selon la météo. Les insulaires des deux sexes surfaient nus dans la mer jusqu’à l’arrivée de la pudeur occidentale dans les années 1870.
Vers la fin du XIXe siècle commença une réaction contre le victorianisme. Le premier club naturiste fut créé en Inde en 1891, avec seulement trois membres, Charles Edward Gordon Crawford et deux frères, Andrew et Kellogg Calderwood. La philosophie naturiste naquit en Allemagne avec le FKK (Freikörperkultur) au début du XXe siècle et se répandit en France puis au Royaume-Uni. Le naturisme était associé à une vie saine – le soleil, l’air frais, la pratique du sport en plein air et, souvent, le végétarisme et l’abstention d’alcool. Le naturisme arriva ensuite aux Etats-Unis et au Canada dans les années 1930.
Les premiers clubs naturistes étaient des sociétés secrètes, derrière des grands murs. Les membres n’en parlaient pas en dehors du club et dans les revues naturistes ils ne donnaient pas leur nom de famille. Les hommes seuls se voyaient refuser l’accès et les potentiels adhérents subissaient des entretiens rigoureux avant que leur candidature ne soit acceptée…ou pas.
En 1931, Gaston et André Durville ouvrirent Héliopolis, le plus ancien village naturiste en Europe, sur l’île du Levant. Sur la côte atlantique, au nord de Bordeaux, CHM-Montalivet, le premier vrai centre naturiste, s’ouvrit en 1950. Il fut suivit en 1975 par Euronat, le plus grand centre naturiste d’Europe. La fin des années 1960 vit la construction du quartier naturiste du Cap d’Agde, qui attirait des naturistes du monde entier. Pendant vingt ans la philosophie naturiste y régna.
La culture hippie des années 1960 et 1970 contribua à une plus large acceptation du naturisme. Le nombre de plages naturistes augmenta et de plus en plus de gens y venaient. Les « sociétés secrètes » vivaient leurs derniers jours ; une nouvelle génération voulait vivre un naturisme sans barrières, ouvert à tous. Dans certains pays, notamment au Danemark, presque toutes les plages se virent accorder un statut « libre ».
Ainsi naquit le naturisme libre. On n’était plus obligé d’adhérer à une fédération pour s’appeler naturiste. La société naturiste évoluait dans le sens qu’il n’existait plus une seule forme de naturisme ; on était tous libre de vivre le naturisme à sa façon, toute l’année à l’extérieur comme à l’intérieur si l’on voulait ou uniquement au soleil en été. Cependant, cette évolution entraîna un certain déclin ; dans un effort d’attirer plus de monde, les clubs et les centres laissèrent tomber la règle de « nudité intégrale exigée ». Aujourd’hui la nudité n’est pas toujours respectée partout. Pire encore, quelques centres naturistes se firent envahir à partir des années 1990 par les échangistes. Heureusement, la plupart des centres exigent une bonne conduite des visiteurs.
Un phénomène qui est arrivé ces dernières années est l’usage de la nudité dans les manifestions. PETA utilise depuis des années des images des gens nus, souvent des gens célèbres, pour protester contre la traite des fourrures. Au « World Naked Bike Ride » les participants sont nus pour accentuer la fragilité des cyclistes sur les routes, contre les voitures, les deux roues motorisés et la pollution. Même si ce genre d’événement n’est pas naturiste à la base, je suis certain qu’à chaque WNBR la joie des participants d’être nus et libres donne envie à quelques spectateurs de tenter le naturisme.
Alors, quel futur pour le naturisme ? On est loin des images du début du XXe siècle où les naturistes étaient tous des dieux sur terre ; aujourd’hui le naturisme est ouvert à tout le monde et dans le vrai esprit du mouvement personne n’est jugé pour son apparence physique. Nus, nous nous présentons comme nous sommes. Je me sens plus à l’aise nu qu’habillé. Sans cette barrière de tissu, nous n’avons plus rien à cacher et sommes peut-être plus ouverts avec nos amis naturistes qu’avec les amis textiles. Si l’on peut continuer à vivre un naturisme purement social, l’avenir est brillant. Les fédérations naturistes – qui œuvrent toujours pour nos libertés – encouragent aujourd’hui que l’on assume son naturisme, que l’on en parle à son entourage. C’est en découvrant qu’un ami, un collègue ou un proche pratique le naturisme qu’un textile le tentera lui-même. Et souvent en parlant avec son entourage, on trouve qu’on n’est pas seul !
Vive le naturisme !!